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L’'ANJOU

HISTORIQUE

PARAISSANT TOUS LES DEUX MOIS

DIXIEME ANNÉE

PARIS ANGERS | LACHESE & Cie EDITEURS

4. SIRAUDEAN, Éditeur

lue de l'Aiguillerie et rue Montault 19509

82, Rue Bonaparte, 82

Alphonse PICARD el Fils | Ltboairie Impr linerte |

L'ANJOU HISTORIQUE

PARAISSANT TOUS LES DEUX MOIS

Fondé au mois de Juillet 1900

PRINCIPAUX COLLABORATEURS

Duc de la TRÉMoILLE, membre de l’Institut ; lieutenant-colonel Marquis d’'ELBÉE ; Comte CH. de BEAUMoONT ; Comte de SouaANCÉ.

Abbés CALENDINI, CHARNACÉ, CHASLES, DENIAU, GRIMAULT, HAUTREUX, HouDBINE, LEDRU, MICHAUD, MOREAU, POIRIER, RONDEAU, ROULLET, UZUREAU.

Dom Besse, dom GUILLOREAU et dom LaNDREAU, bénédictins ; P. Ugap, capucin ; MM. LETOURNEAU et LÉVESQUE, sulpiciens.

MM. BAGUENIER-DESORMEAUX, BITrARD des PORTES, CAMELOT, COCHIN. La COMBE, LAURAIN, LE MESLE, LEROUX-CESBRON, LOYER.

Dans son numéro de septembre-octobre 1902, la Revue des Études

Historiques parle äc l’Anjou Historique, « qui, à sa troisième année d'existence, s'est classé déjà au premier rang de nos meilleures

revues provinciales. » |

ABONNEMENT : 6 fr. par an.

S'adresser à la librairie Siraudeau, rue de l’Aiguillerie et rue Montault, Angers.

DC,

Lot À L V 9

Missions d'Emigrés en Vendée M. de la Godinière

Depuis le début du soulèvement vendéen en mars 1793, il n’était arrivé aux émigrés que de vagues informations sur sa consistance et ses progrès.

Les Princes, alors à Hamm, n’avaient aucun renseignement direct; le bruit circulait qu’une armée royaliste de Bretagne était commandée par un M. de Gaston que personne ne con- naissait. Le perruquier de Saint-Christophe-du-Ligneron, Gaston Bourdic, avait, le 12 mars, commandé un petit rassemblement dans les environs de Challans ; la mention qu'en avait faite Carra dans son rapport lu en séance de la Convention, était l’origine d’une légende qui faisait de Gaston le principal chef royaliste.

Les Princes avaient chargé leurs agents accrédités à Londres de s’employer à établir des communications avec l'armée de Bretagne, et le Cabinet de Saint-James, sollicite par eux, avait autorisé le gouverneur de Jersey, le colonel Craig, à faciliter le passage en France d’un émissaire.

Parmi les émigrés, réunis à Jersey sous les ordres de Botherel, un jeune gentilhomme breton, M. de la Godinière, s’offrit pour remplir cette mission, et, muni d'instructions verbales du commandant en chef de Jersey, parvenait à débarquer sur Îles côtes de Bretagne dans leS premiers jours de juin 1793. Il restait un mois en Bretagne pour y établir des postes de corres- pondance, entrait en relations avec le Comité secret royaliste de Rennes, qui lui confiait une lettre à remettre à MM. les généraux des armées catholiques et royales, et, passant ia Loire, se présentait à Cholet le 5 juillet 1793.

M. de la Godinière était connu de M. de Fleuriot, qui l’accré-

- dita auprès des génëraux. Il fut admis à exposer le but de sa

mission au Conseil de Chemillé (43 juillet 1793). La date de son

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retour pour Jersey peut ètre fi après le 30 juillet; ilemportait : une lettre des Commandants généraux des armées Catholiques et Royales datée de Châtillon le 17 juillet 1793, adressée « aux agents arcredites de leurs À. R. les Princes français à Londres », avec recommandation de compléter verbalement les rensei- gnements qu’elle contenait, et une lettre pour le Comité de Rennes. Il était resté environ un mois en Vendée.

Dans la lettre datée de Châtillon le 48 août 1793 et confiée plus tard au second émissaire, Tinténiac, les généraux Vendéens rappellent la Mission antérieure de M. de la Godinière : « Comme « il pourrail se faire qu’une missive adressée aux agents de nos « princes et remise à M. de la Gaudinière se perilit aussi, nous « avons cru devoir vous en faire passer une copie » (1).

Une lettre de Prigent signale encore M. Godenière comme le

premier émissaire qu'il ait dirigé sur la Vendée pur les voies qu’il avait établies (2), et Mme de La Rochejaquelein mentionne sa venue en Vendée. « Il avait paru aussi, dit-elle, un M. de la « Godellière, émigré, mais il avait perdu ses papiers ; il parut « étourdi et inspira peu de foi, cependant on lui remit une « lettre, d’ailleurs insignifiante ; on a dit depuis qu'il s'était noyé en la portant en Angleterre (3). Nous avons retrouvé la copie de la missive qui lui fut confiée par MM. les Commandants généraux des armées catholiques et royales et qui parvint au Cabinet de Saint-James, (4) ainsi que le rapport sur sa mission en Vendée (5).

Nous n’avons pu établir l’état civil de l’auteur du rapport. Mais l’entrain, l’insouciance du danger qui s'y révèle et, aussi, la tendance à grossir son rôle en exagérant l'enthousiasme qu’il suscite, portent bien la marque de la jeunesse du La Godellière

de Mme de La Rochejaquelein.

R

(1) Dom F. Chamard. Correspondance inérdile, Angers 1880, p. 16. L'au- teur meten note: La Gaudinière, pseudonyme de M. de Tinténiac.

2) Beauchamp, édition, 1809, t. Il], p. 448.

3) M®* de La Rochejaquelein. Mémoires, édit. IS89, p. 210.

(4) War-Office. Orig! Correst”, vol. 296, olim. 415. Catholic Army.

(5) War-Oftice. Orig' Correste, 417 Royalists Intelligence.

+ de en,

ES. Le

Rapport de M. de la Godinière, arrivé à Jersey dans la nuit du 6 au 7 septembre 1793, sur la silualion de l'armée royaliste dile Gaston.

Arrivé Île au bourg de la Chapelle Chaussée (1) et, de là, conduit en la ville du Loroux, je demande à parler à M. de Gaston, commandant l'armée ; le nom de Gaston était inconnu dans le pays ; l'on me conduisit à Cholet je trouvai M. le marquis de Bonchamp, général de l’armée de la Loire ; je lui fis part de ma mission; il était impossible alors d'as- sembler le Conseil général des généraux qui touts (sic) étaient occupés à repousser, en différens points, 10.000 hommes par lesquels ils venaient d'être attaqués subitement.

J'arrivais à Cholet le jour du gain de la bataille de Châtillon, remportée sur Westermann (2), les patriotes perdirent tant en hommes tués ou blessés qu'en pri- sonniers 8.000 hommes, 14 pièces de canon et loutes leurs munitions. M. de Bonchamp partit luy même pour se porter aux Ponts de Cez, je demandai la permission de l'y accompagner ; l’on insista sur ce que je ne pouvais me trouver au combat sans compromettre les intérêts qui leurs (sic) étaient chers ; je parvins enfin à obtenir ce que je désirais : j'eus l'honneur d'accompagner M. de Bonchamp en qualité d'officier major, ee qui est à peu près Aide-de-Camp ; on voulut que je fus sur ec pied lant que je scrais à l'armée, nous ne fûmes pas assez heureux pour trouver l'ennemi et je n'eus que le plaisir

(1) La date est laissée en blanc; elle peut-être fixée environ aux premiers jours de juillet 1393 et la localité est sans doute La Chapelle-Rasse-Mer, à 4 kilomètres du Loroux. La Chapelle-Chaussée en Ille-et-Vilaine était un des postes ds correspondance établis par Prigent de Saint-Malo à la Loire.

(2) Combat de Chätillon le 5 juillet 1393. La présence de M. de Bonchamp à Cholet est controuvée par la version de Beauvais. Mémoires, p. 68 et de Beauchamp, t I, p. 258.

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de la fusillade des derniers postes ennemis retraitants (1)

Revenus à Chemillé, nous fûmes rejoints par une partie de la Grande Armée, je pus alors conférer avec MM. Delbée, de Bonchamp, d'Onissant maréchal de camp, de Bernard de Marigny, de Leseure, prince de Talmont, de la roche Jacquelin, Dautichamp, de Scepeau, chevalier de Fleuriot, chevalier de Rostaing, tous réunis dans le Conseil. J'y fus appuyé de M. de Fleuriot et autres qui me connoissoient : j'adressar la parole au Conseil de la manière suivante.

« Le gouvernement , anglais, les princes français désirent depuis longtems connoître vos projets, 1ls sont fâchés que vous les négligiés. M. le commandant en chef de Jersey m'a envoyé pour vous assurer que Île gouvernement trouvera bon de correspondre avec des royalistes décidés ; j'ose même vous dire qu'il pourrait vous apporter des secours, mais quels sont ceux dont vous avés besoin ? quels sont vos moyens actuels ? quels sont vos projets, quel (sic) est votre position topogra- phique ? Je crois, Messicurs, que vous devriés écrire au gouvernement Brilannique pour vous expliquer à ce sujet ; Jay été chargé de vous préparer un moyen pour correspondre et Je me trouve heureux d'être le prenuer à l'employer avec succès, »

On répondit avec enthousiasme à ma proposition ; on asseura que depuis longlems on cherchait ce moven, que toutes tentatives à ce sujet avaient échoué, les prin- cipaux arlicles passèrent à l'unanimité ; cependant Île moment d'un combat pressait, l'on partit pour Martigné- Briant (21, je lémoignai le désir de m'v trouver, Fon sy prêta ; l'ennemi fut repoussé ; son extinction totale

(1) La division d'Angers sous Gauvillier a réoccupé les Ponts-de-Cé le 8 juillet et campe à Brissac le 11. Le corps expéditionnaire de Saumur, sous La Barolière, est au camp de Fline le 14.

(2) Combat de Martigené-Briand le 15 juillet 1793. Le fait de la panique causée par l'intervention inopportune de la cavalerie est confirmé.

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ne fut manquée en ce jour que par une faute de notre cavalerie, c'étoit le 15 juillet. Le 18 les patriotes furent battus à platte couture ; ils perdirent à Vihiers 25 pièces de canon, 4.000 hommes furent tués, on leurs fit 3.000 prisonniers, on emporta leurs munitions et plusieurs drapeaux (1).

Le lendemain 19 M. d'Elbée fut proclamé dans le Conseil qui se tint à Châtillon, généralissime des armées pour le roy Louis 17, fils du feu roy. Cette nouvelle fut annoncée à l’armée qui, déjà transportée d’allégresse par les victoires qu'elle venait de remporter, tressaillit encore d'une joye nouvelle ; une salve d'artillerie l'an- nonça à tout le pays. M. d'Elbée avait réuni 29 voix el M. de Bonchamp n'en avait obtenu que 22.

Mon affaire fut aussi décidée en ce conseil ; il fut arrêlé qu'on rédigerait le lendemain le cahier que je devais emporter ; l'on partit ensuite pour Cholet, l'adresse s'y rédigea. Cette nouvelle perça autant qu'on le voulut dans l'armée qui cria : Vivent les Anglais, vivent les émigrés ; qu'ils nous viennent. Oh ! nous les aimerons bien.

Je suis revenu avec le paquet dont le Conseil m'avait chargé, par la même route que j'avais parcouru (sic) en allant ; j'étois en même tems porteur d’une réponse au Comité de Rennes et en repassant par St-Malo j'ay recu de M. le chevalier de Pennelec de nouvelles assurances de son zèle pour la bonne cause. | (SANS SIGNATURE). Suivre) | Marquis D'ELBfe.

(1) Le grand choc de Vihiers, 18 juillet 1793.

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Mes Souvenirs

MONSEIGNEUR ANGEBAULT

Portrait physique. Atavisme. Tenue domestique. Les petits hillets. Eujouements. La postulante de Saint-Gildas. L'omelette souffiée. Voyage à Saint-Gildas Sur un trone. Sœurs en retraite. La femme dans l'Église. Sur les tombes. Mon âne. Ma besogne à l'Évéché. M. Tardif et ses distractions. A la recherche d'un Indult. Dans un puits. Secrétaire et Plain-Chantiste. Mrr Bompais. Mer Chesneau. M. Chesnet. M. Ravencau. Autres collaborateurs. Les serviteurs. Piété domestique.

Le vénérable évêque avait soixante-dix-sept ans quand il me fit l'honneur de m'appeler auprès de lui. Un peu courbé par l'âge mais conservant encore, sous ses cheveux blancs, un reste de grâce alerte et toute l'amé- nité souriante de sa Jeunesse, 1l était d'allure très digne et d'une physionomie qui commandait le respect. « Quand je vois arriver cet homme-là, me disait un jour « Louis Courtin, l'un de mes condisciples de Mongazon; « quand je le vois passer avec sa soutane violelle, sa « Croix d'or sur la poitrine, ses grands yeux qu om- « bragent d'épais sourcils, sa belle chevelure blanche qui lui tombe sur les épaules, je crois Voir passer le « bon Dieu ! » Il avait la voix chantante, un peu voilée mais bien Uümbrée ; et celte voix savait prendre, selon

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les circonstances, toutes les intonations de la douceur et de la bonté, ou toute la véhémence de lindignation.

Fils d'un ancien avocat au Parlement de Bretagne, dans une famille se conservail, comme une fleur. la vieille politesse française, il en avait gardé une tenue

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qui témoignait de son origine. S'il se montrait simple dans la maison du pauvre, on le voyait ailleurs, au château par exemple, saluer avec cette aisance sou- veraine, cette grâce étudiée qui font d'une rencontre une cérémonie, à laquelle on reconnait tout de suite un homme de race. Le dirais-je ? Il poudrait avec soin sa magnifique chevelure, mais cette apparente coquetterie, chez un vieillard de vie austère, lui venait de son édu- cation ; elle n'était qu'un détail de la bienséance que lui avaient enseignée ses parents.

J'ai lu, dans le Manuel de la Bonne Compagnie de M. Boitard, que la meilleure Société se trouve dans cette vieille bourgeoisie à laquelle appartenait la famille de M" A\ngebault. Après avoir passé en revue les prin- cipaux types de la Société parisienne, les Sociétés du Haut Commerce, de la Banque, des Sciences et des Arts, de la Politique, du Barreau, des grands fonction- naires, de l'ancienne noblesse, des parvenus, etc. l'auteur arrive à ce qu'il appelle l’ancienne bourgeoisie, el, trouvant en clle « une politesse franche, le bon ton, la bienséance, la bienveillance, l'amour de la famille et lindulgence pour tous », il l'appelle : « la bonne Société ». De ce milicu-là était sorti le vénérable évêque dont j'avais l'honneur de devenir le commensal.

Je ne lardai pas à m'en apercevoir. Le lendemain de mon arrivée à l'évêché, Monscigneur me dit : « Écoutez, mon enfant ; vous êtes Jeune, vous avez besoin d’expé- rience. Sachez que vous êles, ici, non dans un hôtel ou unc auberge mais dans une maison de famille. Quand vous vous absenterez de ma table pour aller déjeuner ou diner en ville Je ne vous en empêcherai pas et je ne vous demanderai jamais vous allez. Mais vous ne vous absenterez jamais sans m'en prévenir en me disant : « Monseigneur, je n'aurai pas l'honneur de «“ dîner avec vous ce soir. » Et cela suffira. Vovez-vous,

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mon enfant, encore une fois l'évêché n’est pas une hôtel- lerie l’on entre et d’où l’on sort à volonté, mais un logis familial dont je suis le père et vous êtes un fils. »

Un tel discours me ravit. Je devais en entendre quel- ques autres du même genre. Un soir que l'un des com- mensaux de la table épiscopale, le bon abbé Chesnet, l'intime ami de M Angebault, lui parlait sur un ton trop familier, le digne évêque voulut me prémunir contre un tel exemple. Il m'appelle dans sa chambre : « Vous venez d'entendre M. Chesnet, me dit-il, et vous avez être choqué du ton qu'il a pris avec moi. Ne prenez pas ce genre, mon enfant. C'est mal, pour un ecclésiastique, quel qu'il soit, de parler ainsi à son évêque... » De son côté, le soir même, M. Chesnet reçut sa correction par un petit billet que le Prélat lui envoya dans sa chambre. Inutile de dire que la réprimande fut bien prise.

M" Angebaull recourait ainsi volontiers à la plume pour faire ses observations à l'intérieur de la maison, et, S'il avait à se plaindre, 1l ne prenait pas toujours des gants pour écrire. Dieu merci, je n'ai jamais recu de billet désagréable. Au contraire, j'en garde plusieurs qui témoignent de la bonté délicate du vicil évêque à mon égard. J'avais la charge très honorable et très douce de l'assister à l'autel, tous les matins, en quelque Heu qu'il fût. Je m'informais de ses déplacements, la veille, pour être prêt à le suivre le lendemain. Plus d'uvne fois 1l m'écrivit pour me prier de ne pas me déranger parce qu'un autre prêtre l'assisterait.

Il aimait, du reste, à faire plaisir, en y joignant quelquelois une pointe d'enjouement. Six personnes s'asseyatent chaque jour à la table épiscopale : M. Bom- pois, vicaire général : M. Pessard, secrétaire particulier: M. Chesnet, majordome ; M. Raveneau, ancien secré- taire de l'évêché, et moi. Un jour nous trouvâmes à

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notre place en y arrivant, M. Pessard et moi, deux jolis verres de couleur, l’un bleu, l’autre rose, qui tranchaient avec le ton blanc des autres verres. L'évêque s'étonne « Qu'est-ce que c'est ? Voyez-vous ces deux pelits qui « veulent se distinguer ? Qu'on enlève cela, vite ! » Et voilà un homme qui prend un air fâché. Mais pendant que, tout ahuris, nous ne savions que répondre, le valet de chambre nous soufflait à l'oreille : « N'ayez pas peur, Monseigneur veut rire, c'est moi qui ai acheté ces verres et c'est lui qui les a payés ! »

Quelques jours après, voulant offrir aux sœurs de Saint-Gildas, qu'il aimait beaucoup, une barrique de vin dont leurs malades avaient grand besoin, il écrivit à la Supérieure : « Je vous enverrai demain une jeune postu- lante. Vous verrez qu'elle est exquise. Ne manquez pas d'aller au-devant d'elle, vous et votre assistante, demain à telle heure, à la gare de Saint-Gildas. » On devine l'ébahissement de la Supérieure quand elle fut avisée, le lendemain, que la jeune postulante pesait 250 kilos !

Ces petites myslifications lui avaient été de bonne heure familières et l'on m'en a raconté une que j'hésite à rapporter. Mais bah ! La mémoire du bon évêque n'en sera guère endommagée ; je la liens d'un vieux prêtre du diocèse de Nantes. Elle remonte au temps l'abbé Angebaul!t, vers sa trentième année, était devenu secré- laire de Monseigneur Micolon de Guérines. Un jour d'ordination, le vieux maitre de cérémonics de la cathé- drale, ayant besoin de se restaurer pendant l'office, avait recommandé à sa servante de lui apporter, au vestiaire des chanoines, une petile omelette. Malheureusement, l'abbé Angebault se trouvait là, seul, au moment la vicille Marielte avait déposé l'objet dans la case de son maitre. Lut aussi avait faim ct sa fatigue lui conscillait de déjeuner. On devine ce qui arriva. Il ouvre le panier. découvre l'omelctte, y goûte un peu, y regoûle, sourit

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et, finalement, l'absorbe tout entière. Mais comment expliquera-t-il sa disparition ? Question vite résolue. L'abbé écrit rapidement deux mots sur un bout de papier, glisse le billet entre les deux assiettes vides, et retourne à la cathédrale. Quand le bon vieux cérémo- niaire vint au panier de Marielte, et qu'il lut, à la place du mets attendu, ces deux mots : omelelle soujilée l je vous laisse à penser si son nez s'allongea devant une explication pourtant si brève.

Mon entrée à l'Évèché remonte à la fin d'août 1867. La famille épiscopale était alors en résidence à lEs- vière, charmante villa que Monseigneur Angcbault avait fail construire sur un terrain appartenant à la mense épiscopale, aux portes d'Angers. De celte maison, fort bien installée, on a sur les prairies de la Maine une vue délicieuse. Le paysage, vert et reposant, me rappelait si bien celui de la vallée du Lavon, près de mon Cha- lonnes, que j'en fus doublement charmé. Cette première impression donnail pour moi à la villa et à ses habitants une couleur des plus aimables.

Je fus vraiment touché de l'accueil que me firent, à FEvéché, Monseigneur et ses commensaux. Mon enchan- tement allait altemdre son comble lorsque, trois jours aprés mon arrivée, lévèque me demanda de l'accom- pagner dans la Loire-Inférieure, chez les Religieuses de Saimt-Gildas 11 se rendait en villégiature. Quoi ! me disais-Je, Jai si peu travaillé et me voilà déjà en vacances |

Nous partimes le lendemain et ce voyage m'a laissé un souvenir des plus doux. Chemin faisant, le bon évêque me montrait le paysage. Après Nantes que je n'avais Jamais dépassé dans mes pelils voyages, il me présenta, en quelque sorte, le pays, et Fon comprendra si je fus flatté, moi, tout jeune prêtre, d'avoir pour cicé- rone ce beau vieillard à cheveux blanes, qui portait une

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croix d'or sur la poitrine et que mon ami Courtin com- parait si bien au bon Dieu |

Notre réception à Saint-Gildas fut des plus cordiales. L'histoire de la postulante changée en bon vin était encore dans loutes les bouches. L'accueil fait au bon pere s en ressentit. On n'appelait pas autrement M A\n- gebault dans ce beau couvent qui lui devait sa pros- périlé. Lorsque, secrétaire à l'Évèché de Nantes. il avait reçu la mission de vivifier une pauvre communauté qui ne complait plus que vingl membres, 1l s'était ns à la besogne avec ardeur. En quelques années il avait remonté le courage du pelil bataillon, décuplé son nombre, élevé le niveau de ses études. Elle comptait alors près de mille religieuses et cinq cents, environ, élaient réunies dans la grande cour du couvent quand nous y entrâmes.

Je retrouve, dans une lettre écrite, le soir mème, à non ami Aubert, une descriplion de cette arrivée « l'igurez-vous, cher ami, plus de cinq cents femmes debout, noires, alignées comme un régiment. Je n'avais Jamais vu ccla : les premières, au chef branlant, courbées par l’âge, baisant avec larmes la main du bon père qui passait; d'autres graves, austères, les fortes Lètes de la maison sans doute, celles qui la font marcher; puis les plus jeunes, de toutes jeunes qui n'ont l'habit que d'hier : elles me parurent déguisées. Le bon évèque allait de l'une à l'äautre avec animation ; s'arrètant devant celles qu'il connaissait, leur rappelant quelque vieille histoire, puis se tournant vers moi pour me faire adinirer leurs réponses. »

Peu après, tout le monde se réunit dans une vaste salle au fond de laquelle s'élevait un trône monumental. L'Évèque yÿ prit place, dans un fauteuil encadré de grandes draperies rouges. De chaque côté, deux sièges attendaient ses deux assistants. L'aumônier qui dirigeait

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la réception, n'indiquait le siège de droite, en me faisant un signe que tout d'abord, je ne compris pas. Moi, mon- ter 1à? Ce n'était pas possible. Je baissai le nez pour ne pas voir ; mais, l'Évèque m'ayant lui-même appelé tout haut, je montai près de lui, le visage confondu. À ce moment j'eus la vision très nelte d'une scène de mon passé. Je me revis âgé de cinq ans, pelit gars de Saint- Quentin-en-Mauges, arrêté sur la grande route pour voir passer M" Angcbault dans les premiers jours de son épiscopal. Il me bénissait, el cette bénédiction m'avait conduit jusqu'auprès de lui, sur un trône je ne me reconnaissais plus !

Mais cette vision fut de courte durée. N'avais-je pas sous les yeux un spectacle cent fois plus captivant ? Depuis quelques jours les Religicuses étaient en retraite, ct la joie que leur causait la visite du bon Évèque n'avait point enlevé à leur physionomie la gravilé du recucille- ment. On voyait briller sur leurs visages je ne sais quoi de sérieux et d'épanout tout à la fois, le double con- tentement qu'elles recevaient de la grâce divine et la visile tout humaine d'un père vranment anné. Pendant les huit jours que j'ai passés à Saint-Gildas j'ai élé frappé, à tout instant, de ce mélange curieux el charmant. Cette réunion de femmes occupées, tour à tour, des doux devoirs de l'hospitahié et des plus hautes pensées, m'a laissé une impression que je ne saurais définir.

Sous leur costume sévère et leur physionomie très sérieuse les Sœurs de Saint-Gildas gardent la simplicité des enfants. Elles l'ont communiquée, celle simplicité, aux serviteurs qui les entourent sous le nom de frères, braves gens revèlus d'un costume religieux, el chargés des grosses besognes du couvent. La cullure des champs, le soin des animaux et de la basse-cour, tout rude travail, de la cave au grenier, leur cst dévolu. Eux

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aussi se montraient ravis de la visite du Père, el veillaient avec sollicitude à ses moindres besoins. Deux fois par jour, M” Angebault réunissait les sœurs à la chapelle pour leur adresser une allocution. Avant de parler, il prenait, à la sacristie, un bol de lait chaud. Un après-midi le frère Pierre, digne homme un peu corpulent, arriva en relard avec son bol de lait. Mon- seigneur était déjà rendu au pied de l'autel je me tenais près de lui. Les sœurs chantaient un canlique à l'Esprit-Saint, quand je vis à la porte de la sacristie le gros Pierre s'avancer avec sa coupe. « Monseigneur, dis-je à l'évèque, voici votre lait. » Mais le bon évêque voyant le Frère qui s'avance toujours et qui va toucher l'autel, lui dit assez haut : « Je n'en veux pas. Alors, mon bon Père, dit Pierre, que faut-il en faire ? Buvez-le, vous. » Et voilà mon Frère qui, estimant sans doute que la parole du bon Père doit être une parole d'Évangile, ne fait ni une ni deux : il avale lentement, majestucusement, entre le vestibule et l'autel, la coupe fumante ! Le cantique à l'Esprit-Saint est interrompu, des rires élouffés secouent l'assistance et le vieil évêque se tournant vers moi me dil : « Avez-vous jamais ren- contré tant de foi et tant de simplicité en Israël ? »

Mon séjour à Saint-Gildas ne fut pas sans nuages. J'y fus malade, pendant quelques jours, d'une sorte d'in- fluenza. Un après-midi, comme jçe me trainais, assez souffrant, dans la belle futaie qui borde le couvent, le frère Pierre m'amena un âne en me conseillant de monter dessus pour me guérir. J'acceptai : un malade ne regarde pas de si près aux moyens curatifs. J'en- fourche la bête, elle trotte, et déjà je m'applaudis du remède quand, au détour d'une allée, elle s'arrête net. En vain je la talonne, je la fouaille, rien ne peut la faire avancer. On sait que cet animal est têtu. Faut-il dire le trait de génie qui me vint alors ? Ce scra peu modeste,

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mais on verra que les bouffées de l'orgueil ne me han- tèrent pas longlemps.

On était au temps de la cueillette des pommes. Les lrères en avaient fait, çà el là, de pelils tas dans les allées du bois et j'avais remarqué que l'âne en passant tout près de ces fruits leur tendail ses deux oreilles et leur jetait un long regard de convoilise. Voilà mon idée loute trouvée. Je me munis d'une longue gaule et je pique une pomme à l'un des bouts. Je remonte sur mon âne et je lui tends, devant le nez, le fruit appélissant. Qu'allait-1l faire ? Avancerait-il pour le saisir ? J’élais anxicux sur le résultat de mon invention quand, Ô bonheur, l'animal se met en marche vers la pomme qui s avance en même temps que lui. Je me disais qu'aiguil- lonné par la vue du fruit 11 s'avancerait toujours pour l'attemdre et que j'allais découvrir, par hasard, comme il arrive pour les plus belles inventions, le mouvement perpétuel. Faut-il avouer que mon baudet ne fut pas longtemps dupe de ma supercherie et qu'au bout de quelques pas 1l s'arrèta de nouveau ? Mon aveu ne me coûtera guère car 1l ne fait que redire, après Bossuelt, que le génie de l'homme est toujours court par quelque endroit.

Tel fut mon premier séjour à Saint-Gildas. Je devais y relourner l’année suivante, avec le vieil évêque qui m'avait altaché à sa personne, el ces deux voyages m'ont gravé dans le cœur le plus suave souvenir. Il m'est arrivé plus d'une fois, aux heures tristes, de m'en- voler en esprit vers les grands bois Saint-Gildas et de m'y réfugier contre les traits blessants de la vie. Je vais comme en pèlermage au picd d'un autel, devant l'urnc funéraire qui, après la mort de Angebault, a reçu son cœur, suprême et expressif témoignage de son affection.

J'étais appelé à remplacer le vénérable M. Tardif,

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secrétaire général de l'évêché, du moins dans sa besogne de caissier des séminaires. Mais ce retrait d'emploi parut lui faire tant de peine que M" Angebault n'osa pas le maintenir. Je fus chargé seulement de tenir le secrétariat pendant les absences du caissier en chef. Ces absences élaient fréquentes. Personne ne l'ignore parmi ceux qui ont connu M. Tardif et qui ont été au courant de son genre de vie. Au lendemain de sa mort, j'ai essayé, dans la Semaine Religieuse, de peindre sa douce el fine figure. Les services que le vieux secrétaire avait rendus pendant vingt-six ans à l'évêché, l'étendue et la variété de ses connaissances, sa science musicale, l'aménité de son humeur jointe à l'austérité de sa vie, l'originalité qui avait émaillé de mille anecdotes sa longue carrière, tous ces traits: lui avaient fait une physionomie à part, bien capable de tenter un pinceau. À Combrée comme à Angers, depuis cinquante ans, on se racontait les histoires étonnantes de M. Tardif. Je nai pu donner que les lignes principales d'un si attrayant portrait.

Il était de ceux qu'Eugène Bennchet, le phrénologue, m'avait un jour indiqués comme types de Mercuriens, c'est-à-dire, d'hommes entendus aux affaires, têtes fines sur de larges épaules. Son père, vieil avocat à la Cour royale d'Angers, lui avait peut-être inspiré de bonne heure le génie de la comptabilité. Si j'en crois l'un de ses contemporains, Éliacin Lachèse, lorsqu'un client venait consulter l'homme de loi, celui-ci lui rappelait d'abord le prix de La consultation, puis, indiquant du doigt le coin de son bureau, il lui disait gravement : « Boutez trois francs ! » M. Tardif ne parlait jamais de ce brave homme qu'en joignant les mains, avec un respect altendrr. Il avait au suprême degré l'esprit de famille. Lorsque sa sœur, Marie-Agathe Tardif, qui avait épousé M. Gardereau, vint demeurer à Angers,

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rue du Bellay, chaque soir, quelle que fût la saison, M. Tardif quitlait son logis de la rue de l'Évèché pour aller la voir. Conune il n avait aucune notion du temps, il Lui arrivait souvent de partir de chez lui à neuf heures Lrois quarts pour arriver chez sa sœur à dix heures, el celle-ci ne tardait pas à le congédier.

Ces promenades nocturnes lui atlirèrent plus d'un désagrément. Un soir qu'il renlrait chez lui assez lard, il fut accosté dans la rue par un mauvais sujet qui lui donna un coup de poing. M. Fardif hâte le pas, l'homme le poursuit, On croise divers passants; l'agresseur ‘S'écarte un peu, puis rejoint le pauvre chanoine pour le frapper de nouveau. « Pourquoi, lui disions-nous Île lendemain, quand il nous raconta cette histoire, pour- quoi n'appelliez-vous pas à voire aide les gens qui passaient ? » « ! nous répondit-il avec son enfan- line simplicité, je croyais toujours que c'était fini |! »

On a beaucoup ri de ses distractions, mais est-ce bien le mot qu'il convenait d'appliquer à sa nature pensive, à cette facilité qu 1l avait de s'absorber dans ses propres réflexions ct de s'isoler du monde extérieur ? Comme la plupart des savants et des artistes, poëètcs, peintres, mu- siciens, mathématiciens, qu'occupe constamment la mème pensée, comme tous ceux qu une forte tension de l'esprit, appliquée au mème objet, enlève momen- lanément aux bruits el aux réalités du dehors, M. Tar- dif concentrait en lui-même toute son attention. N'était- il pas alors le contraire du distrait, c'est-à-dire l’homme réfléchi qui ne se laisse détourner de sa pensée par aucun appel étranger ? Un jour pourtant, il ne sut pas résister à cet appel, et les circonstances rendirent sa distraction un peu forte. Mais faut-il redire cette histoire que toul le monde connaît et qui mêle trop le profane au sacré ? Je la raconterai brièvement ut scientibus non sit unerosa.

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Donc, un jour que l'imposante cérémonie de l'ordina- liun occupait à la Cathédrale l'Évèque, le Chapitre, le Grand-Séminaire et une nombreuse assistance, au moment M Angebaull allait conférer la prêtrise à plusieurs ordinands qui avaient besoin d'une dispense d'âge, M. Tardif, qui devait donner lecture de l'Indult pontifical accordant cette dispense, venait d'avouer que la pièce était restée chez lui. « Allez vite la chercher » lui dit l'Évèque. Et voilà notre homme qui sort de la cathédrale, laissant dans l'attente toute l'assemblée : le Grand-Séminaire, les chanoines et l'Évèque assis, les mains sur les genoux. Ici, dans l'intérèt du lecteur, je lui ferai remarquer que M. Tardif possédait un chat lendrement aimé, un gros chat gris qui avait le pri- vilège de s'asseoir à la table du maitre, je veux dire de se percher sur son épaule pour saisir au bout de la fourchelle, quand elle passait, les mets convoités. Or, ce chat mignon venait de ilomber dans le puits s’a- breuvaient les divers locataires qui occupaient la maison du bon chanoine. Quand :l arriva dans la cour de son vieux logis, trois femmes en rumeur étaient penchées sur l'orifice du puits. « M. Tardif, votre chat est noyé ! » À ce cri poussé par les trois commères, Île notaire de l'ordination oublie tout : le Pape el son Indult, l'Évèque, le Chapitre et Loute la Cathédrale qui l'attend. En habit de chœur de la tête aux pieds, vèlu de l'her- mine blanche et du rochet à dentelles, la poitrine dé- corée de la croix de Pie IX, la têle couverte du bonnet carré à liseré rouge, 1l se met en devoir d'extraire de l'abime le pauvre chat crevé ! Dix fois il abaisse la corde du puits, cette corde au bas de laquelle se trouve un croc qui peut saisir l'animal, et dix fois la bête, un instant accrochée, retombe avec un bruit qui arrache des cris d'horreur à l'assistance. [l y avait un bon quart d'heure que durait cette manœuvre quand le secrétaire

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de Monseigneur, M. l'abbé Pessard, en habit de chœur eussi, fait irruption dans la cour : « M. Tardif, à quoi pensez-1o1s, tout le monde vous attend ! » Mais lui, muet d’abord, puis sortant de l'abime de ses réflexions, dit cette parole : « Ce n’est pas mon chat! Celui-ci a le ventre ballonné, il doit être dans l'eau depuis deux ou trois jours ; le mien je lui ai dit bonjour ce matin ! » El ce fut après avoir proféré cette sentence judicieuse, digne d'un sage de l'antiquité, que le notaire de l’ordination alla chercher l'Indult ponufical, cette pièce indispensable qu'attendaient à la Cathédrale les ordinands, le Chapitre et l'Évèque toujours assis, les deux mains sur les genoux.

De cetle aventure un peu bouffonne, qu'on veuille bien ne pas conclure à l'inhabilité professionnelle du secrétaire de l'Évèché. La fonction dont il était chargé est peu connue et plus délicate qu'on ne pense. Pour la remplir dignement, le dévouement et l'activité ne suffisent pas. La régularité dans les écritures et la ponc- lualité aux heures de travail sont essentielles, mais ce serait peu de chose si l’on n'y joignait, surtout dans Îles rapports avec le clergé, dans la correspondance avec les autorités civiles, une affabilité et une réserve, une pru- dence el un tact sans lesquels se trouveraient com- promis les plus graves intérêts. La science théologique, surtout dans les questions matrimoniales, le discerne- ment des difficultés qui peuvent se rencontrer et l’art de les résoudre ne sont pas moins indispensables.

M. Tardif possédait éminemment ce tact et cette science. Cela ne veut pas dire qu'il fût toujours exact à l'heure du bureau, mais s'il était souvent en retard pour en ouvrir Ja porte, 11 élait encore moins prompt pour la fermer après l'heure réglementaire. Que cela fût la perfection, on ne saurait en convenir. Du moins, puis-je dire que le bon secrétaire, qui ne compta jamais

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avec le temps, se donnait sans mesure et vous écoutait sans ennui. Ne fallait-il pas, d’ailleurs, faire un bout de causerie quand survenait un ami, Legeard de la Diriays, par exemple, son ancien condisciple au Lycée d’An- gers ? Devenu chanoine titulaire après avoir été curé de la Trinité, l'abbé Legeard avait toujours entretenu avec son ancien camarade d’intimes relations. Cette intimité. malgré l’adage : amicilia pares invenit aut facit, n'était pas précisément fondée sur la similitude des caractères. Autant Louis Legeard était impétueux, bouillant, aussi prompt de parole que de pensée, autant son compagnon se montrait calme, réfléchi, habitué à remuer sept fois sa langue, suivant le conseil du sage, avant d'exprimer ce qu'il avait à dire. C'était un spectacle que leur con- versation, surtout dans les dernières années. Avec d'autres, M. Tardif se plaisait à redire les bonnes his- toires de Combrée, à remémorer le bon temps de la jeunesse ct les nobles aspirations de la vingtième année. Le plus souvent c'était de la grande question du chant ecclésiastique qu'il aimait à entretenir ses confrères. Celui qui voudra le peindre pour la postérité devra le représenter assis au secrétariat de l’Évêché, tenant à la main un livre de chant et exécutant à pleine voix quelque belle antienne destinée à faire valoir ses principes, pendant que la galerie atiend avec patience, et en souriant, la fin du morceau |!

Je ne saurais quitter le portrait de M. Tardif, sans parler de sa Méthode de plain-chant, œuvre capitale de sa vie. À côté des savantes études récemment publiées par les Bénédictins de Solesmes, l'ouvrage du vieux chanoine restera pour témoigner des connaissances approfondies de son auteur. Avec cette conscience minu- tieuse qu'il apportait en toutes choses, avec le goût qu'il tenait de sa nature pour une «science difficile et peu connue, M. Tardif a recueilli, dans un livre à peu près

complet, tout ce que la tradition nous a légué sur la langue musicale de l'Église : « Vous avez traité ce sujet avec autant de clarté que d’'érudition », lui écrivait, en 1884, l'éminent directeur du Conservatoire de Paris, M. Ambroise Thomas. Une lettre de l'illustre Nieder- mever n'est pas moins expressive. L'un des maîtres de la crilique musicale en Belgique, M. Je chevalier Van Elewvck, appréciait en ces termes l'ouvrage du cha- noine d'Angers : « Cette méthode a une très grande valeur. Elle augmente la juste renommée que notre savant et modeste confrère s'est acquise, non seulement en France, mais hors des frontières de sa patrie. »

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